Court essai de spiritualité naturaliste

Publié le par Miky

Métaphysique et théologie :


L'athéisme n'est qu'une option négative qui se définie par rapport à une philosophie, le théisme, qu'il rejette. Au-delà de ça, les athées peuvent être très divers...


Je préfère donc dire que je suis naturaliste, car le naturalisme, lui, est une option positive. Il s'agit d'affirmer que la Nature et ce qu’elle contient existent et qu’ils sont la seule réalité existante. Mon adhésion au naturalisme est surtout épistémologique : peut-être existe-t-il autre chose que la Nature (pour ma part j'en suis intimement convaincu), mais la seule chose que l'on peut connaître avec certitude et objectivité est la Nature. On peut donc dire que je suis un « naturaliste agnostique ».


Par Nature, il ne faut pas entendre uniquement la matière brute. Le naturalisme n’est pas le matérialisme. Les lois de la Nature ne sont pas à proprement parler matérielles, pas plus que les champs de force, l'énergie, etc. Par ailleurs, on peut admettre que l'organisation de la matière entraine l'émergence de nouvelles propriétés non réductibles à celles présentes dans les éléments de départ pris isolément. Le tout, en quelque sorte, est supérieur à la somme de ses parties.


On peut donc être naturaliste et croire - c'est mon cas - en l'existence d'un libre-arbitre métaphysique, d'une morale objective inscrite dans la Nature, voire ne pas être totalement fermé à l’idée d’un « moi » absolu, etc.


La notion d'émergence, lorsqu'on la prend en son sens le plus fort, ontologique, a quelque chose de déstabilisant pour l'esprit. Comment une propriété entièrement nouvelle peut-elle apparaître comme ça du pur néant, en n'ayant pas déjà été présente, en puissance, dans les éléments de base ?


Je suis conscient de cette difficulté. C'est pourquoi je soutiens que les plus hautes facultés de l'esprit sont déjà présentes, à l'état latent, au sein de la Nature, peut-être même au sein des particules matérielles les plus fondamentales (mais là je ne m’avancerai pas trop). L'organisation de la matière joue en quelque sorte le rôle d'une clef ou si l'on préfère d'un révélateur : elle permet à ce qui existe déjà éternellement de s'exprimer dans la temporalité. Là, j'avoue que je lorgne sérieusement vers le panthéisme, je ne m'en cache pas. Le panthéisme est en quelque sorte le chaînon manquant entre le naturalisme pur et dur et le déisme. Il reste malgré tout naturaliste, dans la mesure où c'est une philosophie moniste et qu’il rejette la notion d'interventions surnaturelles dans l'ordre naturel des choses.


On peut donc dire aussi que je suis un « naturaliste déiste ». Mais alors pourquoi est-ce que je dis que je suis athée ? Parce que je prends ce terme selon son sens étymologique d'opposition au théisme. Je ne crois guère, en effet, en un Dieu transcendant et personnel, créateur du monde ; et je crois encore moins que ce Dieu, s'il existe, soit à la fois bon et puissant (et a fortiori infiniment bon et tout-puissant). Je ne le crois pas, car je constate chaque jour à quel point le mal et la souffrance dominent dans le monde. Je ne peux pas adorer un Dieu – c'est viscéral – qui laisse mourir dans la souffrance la plus abjecte des enfants innocents dans les mains de monstres comme Dutroux... alors qu'il pourrait les sauver de cet enfer...


Au final, mon naturalisme apparaît assez modéré, car essentiellement épistémologique.


On pourrait se dire que ce que j’appelle la Nature, étant donnée la définition que j’en donne, n’est qu’un nom « politiquement correct » pour désigner ce que d’autres appellent Dieu.


Mon concept de Nature peut être, en effet, utilement comparé à celui de Dieu. Il lui ressemble un peu, sauf que :


  • Je récuse tout anthropomorphisme : il s'agit d'un principe d'existence et d'unité, non d'un être particulier, personnel et doué de bonté à qui on adresserait des prières et qui pourrrait ou voudrait y répondre. Il n'a pas de plan pour l'homme qui n'est qu'un être parmi d'autres. Il ne transgresse pas les lois de la Nature en faisant des miracles, car ça contredirait sa propre essence.

  • Il ne créé pas les êtres ex nihilo. Ceux-ci sont des affections de sa substance. Il n'y a pas de séparation ontologique entre la Nature et les êtres qui la composent. Si vous voulez une image, c'est comme l'homme et les cellules de son corps.


Donc en deux mots, je dis non à l'anthropomorphisme et au dualisme.


Spiritualité et fondements de l’éthique :


Voici comment je vois les choses pour ma part, selon ma vision naturaliste :

  • il y a notre conscience individuelle, à laquelle on tient beaucoup (enfin chacun tient beaucoup à la sienne)

  • mais il y a aussi la conscience en tant que phénomène générique, qui peut être instanciée par divers êtres particuliers, de même qu'il existe le bleu générique, qui est instancié par tous les objets bleus


Lorsque l'on meurt, notre conscience individuelle disparaît en tant que conscience individuelle, mais cela ne veut pas dire (bien entendu) que le phénomène « conscience » disparaît de tout l'univers, puisque d'autres personnes continuent d'exister !


Or ces autres consciences, je maintiens, en tant que naturaliste, qu'elles ne diffèrent pas absolument entre elles et qu’elles ne différent pas absolument de la mienne. Bien sûr, on a l'impression du contraire, parce que notre corps nous interdit d'être en contact direct avec les autres consciences individuelles. Mais cette distinction est relative et non pas absolue. Inconsciemment ou consciemment on fait donc un peu ce genre de raisonnement :

  • j'expérimente mon corps et celui d'autrui de la même manière : par conséquent, matériellement, mon corps et celui d'autrui ne diffèrent pas fondamentalement ;

  • or j'expérimente mon âme et celle d'autrui différemment : mon âme est pleine de sensations de joie, de peine, de douleur, etc. tandis que celle d'autrui ne me fait pas tous ces effets, par conséquent, spirituellement, mon âme et celle d'autrui diffèrent fondamentalement ; et par conséquent, nos âmes sont également ontologiquement distinctes de nos corps.

C'est donc à un dualisme entre l'âme et le corps et même à un pluralisme entre toutes les âmes auquel on est conduit par ce genre d'expérience.


Cette théorie, d'après moi, est fausse, mal fondée en tout cas, et surtout cause de beaucoup de souffrances car on va s'attacher, que dis-je, se cramponner à notre petit moi individuel en croyant qu'il est pour lui-même ce qu'il y a de plus précieux au monde...


La voie spirituelle que je propose, consiste au contraire à prendre conscience du caractère relatif de notre égo, et de s'identifier à la conscience générique dont il n'est qu'une individualisation provisoire.


La meilleure image que j'ai trouvé pour faire comprendre cela est la suivante : tout se passe comme s'il n'y avait absolument qu'une seule personne consciente qui existe, mais dont l'esprit est très dissocié, à l'image (puissance mille !) de ces patients dont on a sectionné les deux hémisphères cérébraux pour soigner des formes particulièrement sévères d'épilepsie. Dans certaines conditions expérimentales, tout se passe comme si leur conscience... se dédoublait littéralement !... au mépris de ce que l'on croit savoir sur notre âme et sa prétendue unicité...


La mort n'est donc rien pour nous, pas parce qu'après elle nous existerions plus. Certes, Pierre, Paul, Jacques, n’existeront plus, car il y aura destruction de la conscience individuelle. La mort n’est cependant rien pour nous – un « nous » absolu, le même pour tous ! – parce qu'elle est un phénomène qui ne touche que très localement la conscience entendue comme phénomène générique, et qui vit constamment et depuis plusieurs millénaires des milliards d’existences simultanées et dissociées les unes des autres.


Nous existerons donc plus tard, parce que nous avons déjà existé avant, et que nous existons déjà ailleurs...


Le « salut », sachant cela, consiste donc à œuvrer, dès maintenant, pour plus de justice et d'amour dans le monde, et peut-être, qui sait, atteindre une sorte de Point Oméga qui correspondra à une parfaite réunification de tous ces bouts de conscience que sont nos consciences individuelles en une seule conscience quasi-« divine ».


Moralement, cette pensée fonde particulièrement bien l'éthique, je trouve. Car en effet, on comprend dès lors que le mal que l'on fait aux autres, c'est quelque part à nous-même que nous le faisons, puisque, d'un point de vue absolu, nous sommes les autres et les autres sont nous.


Le point de vue développé ici ne m'est pas personnel, d'autres naturalistes le partagent, par exemple Thomas W. Clark, Death, Nothingness and Subjectivity


Je ne vous cacherai pas qu'on trouve à peu près la même spiritualité, tant dans le naturalisme, que dans le bouddhisme.


Ceci est la spiritualité « de base » que je professe et que j'essaye de vivre. Mais comme je ne suis pas un naturaliste intégriste, je n'exclue pas l'éventualité d'avoir une âme immortelle, mais alors ça sera plutôt de manière thomiste que cartésienne que je l'envisagerai, car s'il y a bien un point où je dois admettre que l'Église catholique a été lucide, c'est d'avoir pris au sérieux l'anthropologie de St Thomas d'Aquin, plutôt que le cartésianisme de l'époque moderne. St Thomas d'Aquin, lorsqu'il parle de la personne humaine, au fond, est quelque peu « panthéiste ». Je m'explique : l'âme est le principe premier de la vie corporelle, dont elle est inséparable et co-dépendante. Elle est la forme et le corps est la matière. Cela rejoint la façon panthéiste (ou disons panenthéiste) d'envisager les rapports entre « Dieu » (ou la Nature « naturante ») et les êtres naturels (la Nature « naturée »).

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Y
Dans mon lexique, métaphysique c'est «le bois dont il vaut sortir*». (*pour ...)Alors, je suis pas physicien.ni psycho ou/et sociologue ... mais Ash et Gramm ça te dis quelque chose?(pour l'ortographe des noms je suis pas sûr , je les retiens juste par effet d'un moyen mémo-technique d'ancien fumeur :)) ) ...parce que là ... ça sent l'arnaque quand m^me  :)... ... sinon, (ailleurs) je suis à la recherche d'info auprès de «cultureux en philo» que tu m'a l'air d'^tre et que je n'ai plus le temps de devenirau sujet de la formule «meaning is use»:est-ce une formule anecdotique(«ressortie» et encensée par un/des «lecteurs») ou l'auteur y était-il attaché (l'a-il commentée)?est-elle apparue pour la première fois dans son dernier écrit (P.investigations)?était ce «meaning is use» ou «meaning just is use» ou les deux?Merci
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Y
«il me semble qu'on ne peut pas réduire la couleur à un simple phénomène de longueurs d'ondes électromagnétiques»(il te semble????? bonjour les pincettes)a ça nan  :))  ! les couleurs sont des impressions!... mais qui lui sont parfaitement relatives! vu que ce que l'oeil capte ... c'est la lumière!!!!!! ««filtrèe»» (réfléchie en partie (visible), absorbée pour une autre) par les objets ...Bon J'arrète là. (là c'est sûr)bonne continuation :)))...
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M
Bonsoir Yves,"ce serait trop long. La notion de «couleur primaire» (et sec., ter.  ) n'intéresse que la synthèse (fabriquer des couleurs). la nature n'est pas (que) peinte ... : il y a autant de «couleurs pures» que de longueurs d'ondes eléctromagnétiques visibles, exactement autant que de points sur un segment de droite : une infinité. ... et y a pas que les couleurs pures ..."Je ne suis pas sûr que ça n'intéresse que la synthèse. La phénoménologie des couleurs m'a l'air de correspondre également à ce découpage. Même si on conteste la phénoménologie, il me semble qu'on ne peut pas réduire la couleur à un simple phénomène de longueurs d'ondes électromagnétiques. Il y a également des considérations biologiques sur les cônes de la rétine, et le cortex visuel qui entrent en ligne de compte. C'est en tenant compte de tout cet ensemble de données que je forme mon jugement.
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Y
pour info (au cas où ... ????) le segment de droite en question c'est le pied de l'arc en ciel. et sur ce segment y a un segment de «bleu» (tous les «bleus») qui est lui même composé d'une infinitée de nuances.
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Y
Bonjour miky,ce serait trop long. La notion de «couleur primaire» (et sec., ter.  ) n'intéresse que la synthèse (fabriquer des couleurs). la nature n'est pas (que) peinte ... : il y a autant de «couleurs pures» que de longueurs d'ondes eléctromagnétiques visibles, exactement autant que de points sur un segment de droite : une infinité. ... et y a pas que les couleurs pures ...
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