La statue de Jean-Paul II est-elle une insulte à la laïcité ?
Ceux qui ont l'habitude de me lire savent que je ne suis en général pas très tendre avec les religions dites "révélées", en particulier avec l'Eglise Catholique Romaine. Ceux qui penseraient que ma position relève d'une attitude partisane, aveugle et idéologique contre la religion et pour le matérialisme et l'athéisme seront donc d'autant plus surpris d'apprendre mon scepticisme, cette fois-ci, à l'encontre de "mon propre camp"... En effet, j'avoue ne pas bien saisir ce qu'il y aurait de si abominablement anti-laïque dans l'installation prochaine d'une statue de Jean-Paul II à Ploërmel, dans le Morbihan. Je ne dis pas, bien entendu, que je soutiens cette initiative. En fait, elle me laisse assez indifférent (mais bon, en même temps, je n'habite pas Ploërmel... donc peut-être qu'une partie de l'enjeu m'échappe). Examinons de près les arguments des opposants à ce projet :
1°) Jean-Paul II est un pape, or dans un état laïque, la religion doit se cantonner à la sphère privée. Donc la statue de Jean-Paul II est contraire à la laïcité.
L'argument me paraît peu convaincant, et cela pour deux raisons principales :
- Aucune personne ne se réduit à ses croyances ou à son "métier". On peut très bien admettre que c'est à l'homme Karol Wojtyla à qui on rendrait ici hommage, et non pas au chef religieux de l'Eglise Romaine ou au chef de l'Etat de la Cité du Vatican. Bien sûr, on pourrait contre-argumenter que la place sur laquelle sera érigée la statue a été renommée "place Jean-Paul II" et non pas "place Karol Wojtyla", et donc que c'est bien le chef religieux et/ou le chef d'état qu'on commémore. Toutefois, il semble que cela soit une pratique somme toute courante et banal de désigner les gens par leur "pseudonyme" quant elles se font connaître par ce dernier. Ainsi, on ne va pas à un concert de Jean-Philippe Smet mais à un concert de Johnny Halliday. Et même ceux qui (comme moi), y voit un piêtre artiste l'appellent quand même Johnny Halliday, car tout le monde comprend de qui il s'agit. Enfin, on trouve bien des statues de Jeanne d'Arc dont le rapport avec la religion, s'il fut différent de celui de Jean-Paul II, n'en est pas moins essentiel dans sa vie. Et ne parlons pas des différents rois, ainsi même que de Napoléon Ier, qui furent tous légitimés par l'Eglise Romaine. Quant à l'abbé Grégoire, faut-il le retirer du Panthéon ?
- Il y a sphère privée et sphère privée... Ce que dit le principe de laïcité est surtout qu'aucune croyance de nature religieuse ou disons plus généralement idéologique ne peut être imposée à tout le monde, alors qu'elle ne concerne qu'une certaine communauté de personnes partageant une certaine foi que tout le monde n'a pas ou ne peut avoir. Cela ne veut pas dire, me semble-t-il, que les personnes qui ont cette foi ne peuvent pas s'exprimer dans l'espace public voire parler de leur foi en public. Ce qu'il y a juste, c'est qu'elles ne peuvent pas faire pression sur la Société pour la faire changer en s'appuyant sur leur foi. Si on prend par exemple le débat sur l'homosexualité. Les catholiques romains peuvent fort bien trouver l'homosexualité immorale et le dire (et je trouverais intolérable qu'on leur ôte ce droit du moment qu'ils acceptent que l'on exprime l'opinion contraire). Ce qui est gênant, c'est lorsqu'ils prétendent que leur point de vue est rationnellement fondé, sans apporter de vrais arguments, sans accepter le débat, en usant d'ad hominem, en refusant de revoir leurs positions face aux objections valables, etc. Si l'on devait épouser une conception étroite de la sphère privée telle qu'il semble en être question dans l'affaire de Ploërmel, alors soyons logique jusqu'au bout : il faut démolir toutes les églises dont la vue et le bruit des cloches sont une "insupportable entrée de la religion dans la sphère publique"...
2°) Le socle de la statue et sa cérémonie d'inauguration sera financée en partie par des fonds publics.
Soyons logiques jusqu'au bout : combien de choses avec lesquels on n'est pas forcément d'accord sont financées par des fonds publics ? Plein. En ce qui me concerne il y a : les églises suffisamment anciennes pour qu'on ait décidé arbitrairement qu'elles faisaient partie du patrimoine historique, les matchs de foot, la police qui pourtant ne prend pas toujours la peine de se déplacer lorsqu'on a besoin d'elle, les gouvernements de droite alors que je vote à gauche, etc. N'oublions pas aussi que l'Alsace-Moselle "jouit" d'un régime d'exception concordataire et donc que les prêtres, pasteurs et rabbins y sont des fonctionnaires payés par l'état et qu'un enseignement religieux (obligatoire sauf demande explicite de dispense) est donné dans les écoles, collèges et lycées publics... Cela me paraît beaucoup plus génant qu'une statue de Jean-Paul II à Ploërmel... Pourtant, on en parle relativement peu.
Addendum du 24 novembre 2006 :
Il y a, de plus, de bonnes raisons de penser que cette statue pourrait rapporter, au final, de l'argent à la commune de Ploërmel et contribuer à son développement. En effet, elle pourrait engendrer du tourisme ou être le lieu de pélerinages. Dans ce dernier cas, ce serait donc, paradoxalement, des membres de l'Eglise Catholique Romaine qui donneraient de l'argent à l'état laïque (ainsi qu'à toutes sortes de commerces et de services privés mais non-confessionnels : chaînes d'hôtels, restaurants, boutiques, etc.). L'argent des contribuables qui aurait donc été investi dans un premier temps pour financer le socle et la cérémonie d'inauguration de la statue ne serait donc pas perdu dans la satisfaction des intérêts du seul maire et du clergé local. Il serait rentabilisé dans un second temps au profit de tous. Il pourrait, par exemple, servir à créer des espaces verts, à entretenir les écoles, etc.
3°) Jean-Paul II n'a pas fait que de bonnes choses dans sa vie.
C'est indéniable. Napoléon Ier aussi, et pourtant il a ses statues à son effigie... Faut-il toutes les démonter pour être logique jusqu'au bout ?
4°) La "place Jean-Paul II" s'appelait avant "place Jean Jaurès". On vient de tuer Jean Jaurès une deuxième fois.
Changer le nom d'un lieu pour un autre nom est encore une fois une pratique courante. Ainsi, après l'assasinat du préfet d'Ajaccio Claude Erignac, de nombreuses rues ont été rebaptisées "rue Claude Erignac". A Montreuil, par exemple, il existe une rue Claude Erignac. Elle s'appelait avant rue Saint-Mandé, qui était, d'après quelques infos que j'ai pu trouver, un abbé d'origine bretonne né au VIème siècle. Cet abbé est-il mort une deuxième fois ?
Cela peut sans doute agacer, quand on ne porte pas particulièrement Jean-Paul II dans son coeur, ou lorsqu'on n'adhère pas à ses idées ou à ses actions, qu'il existe une place qui porte son nom ou une statue qui le représente. Il faut toutefois relativiser cet agacement. Je ne suis pas gaulliste, et pourtant je vis très bien avec le fait qu'il existe des rues, des places, des avenues Charles de Gaulle et même des statues du général. Je pourrais dire la même chose pour Napoléon Ier, le général Mangin, etc. Quant aux partisans de l'UMP, boycottent-ils la Bibliothèque François Mitterrand à cause de son nom ?
1°) Jean-Paul II est un pape, or dans un état laïque, la religion doit se cantonner à la sphère privée. Donc la statue de Jean-Paul II est contraire à la laïcité.
L'argument me paraît peu convaincant, et cela pour deux raisons principales :
- Aucune personne ne se réduit à ses croyances ou à son "métier". On peut très bien admettre que c'est à l'homme Karol Wojtyla à qui on rendrait ici hommage, et non pas au chef religieux de l'Eglise Romaine ou au chef de l'Etat de la Cité du Vatican. Bien sûr, on pourrait contre-argumenter que la place sur laquelle sera érigée la statue a été renommée "place Jean-Paul II" et non pas "place Karol Wojtyla", et donc que c'est bien le chef religieux et/ou le chef d'état qu'on commémore. Toutefois, il semble que cela soit une pratique somme toute courante et banal de désigner les gens par leur "pseudonyme" quant elles se font connaître par ce dernier. Ainsi, on ne va pas à un concert de Jean-Philippe Smet mais à un concert de Johnny Halliday. Et même ceux qui (comme moi), y voit un piêtre artiste l'appellent quand même Johnny Halliday, car tout le monde comprend de qui il s'agit. Enfin, on trouve bien des statues de Jeanne d'Arc dont le rapport avec la religion, s'il fut différent de celui de Jean-Paul II, n'en est pas moins essentiel dans sa vie. Et ne parlons pas des différents rois, ainsi même que de Napoléon Ier, qui furent tous légitimés par l'Eglise Romaine. Quant à l'abbé Grégoire, faut-il le retirer du Panthéon ?
- Il y a sphère privée et sphère privée... Ce que dit le principe de laïcité est surtout qu'aucune croyance de nature religieuse ou disons plus généralement idéologique ne peut être imposée à tout le monde, alors qu'elle ne concerne qu'une certaine communauté de personnes partageant une certaine foi que tout le monde n'a pas ou ne peut avoir. Cela ne veut pas dire, me semble-t-il, que les personnes qui ont cette foi ne peuvent pas s'exprimer dans l'espace public voire parler de leur foi en public. Ce qu'il y a juste, c'est qu'elles ne peuvent pas faire pression sur la Société pour la faire changer en s'appuyant sur leur foi. Si on prend par exemple le débat sur l'homosexualité. Les catholiques romains peuvent fort bien trouver l'homosexualité immorale et le dire (et je trouverais intolérable qu'on leur ôte ce droit du moment qu'ils acceptent que l'on exprime l'opinion contraire). Ce qui est gênant, c'est lorsqu'ils prétendent que leur point de vue est rationnellement fondé, sans apporter de vrais arguments, sans accepter le débat, en usant d'ad hominem, en refusant de revoir leurs positions face aux objections valables, etc. Si l'on devait épouser une conception étroite de la sphère privée telle qu'il semble en être question dans l'affaire de Ploërmel, alors soyons logique jusqu'au bout : il faut démolir toutes les églises dont la vue et le bruit des cloches sont une "insupportable entrée de la religion dans la sphère publique"...
2°) Le socle de la statue et sa cérémonie d'inauguration sera financée en partie par des fonds publics.
Soyons logiques jusqu'au bout : combien de choses avec lesquels on n'est pas forcément d'accord sont financées par des fonds publics ? Plein. En ce qui me concerne il y a : les églises suffisamment anciennes pour qu'on ait décidé arbitrairement qu'elles faisaient partie du patrimoine historique, les matchs de foot, la police qui pourtant ne prend pas toujours la peine de se déplacer lorsqu'on a besoin d'elle, les gouvernements de droite alors que je vote à gauche, etc. N'oublions pas aussi que l'Alsace-Moselle "jouit" d'un régime d'exception concordataire et donc que les prêtres, pasteurs et rabbins y sont des fonctionnaires payés par l'état et qu'un enseignement religieux (obligatoire sauf demande explicite de dispense) est donné dans les écoles, collèges et lycées publics... Cela me paraît beaucoup plus génant qu'une statue de Jean-Paul II à Ploërmel... Pourtant, on en parle relativement peu.
Addendum du 24 novembre 2006 :
Il y a, de plus, de bonnes raisons de penser que cette statue pourrait rapporter, au final, de l'argent à la commune de Ploërmel et contribuer à son développement. En effet, elle pourrait engendrer du tourisme ou être le lieu de pélerinages. Dans ce dernier cas, ce serait donc, paradoxalement, des membres de l'Eglise Catholique Romaine qui donneraient de l'argent à l'état laïque (ainsi qu'à toutes sortes de commerces et de services privés mais non-confessionnels : chaînes d'hôtels, restaurants, boutiques, etc.). L'argent des contribuables qui aurait donc été investi dans un premier temps pour financer le socle et la cérémonie d'inauguration de la statue ne serait donc pas perdu dans la satisfaction des intérêts du seul maire et du clergé local. Il serait rentabilisé dans un second temps au profit de tous. Il pourrait, par exemple, servir à créer des espaces verts, à entretenir les écoles, etc.
3°) Jean-Paul II n'a pas fait que de bonnes choses dans sa vie.
C'est indéniable. Napoléon Ier aussi, et pourtant il a ses statues à son effigie... Faut-il toutes les démonter pour être logique jusqu'au bout ?
4°) La "place Jean-Paul II" s'appelait avant "place Jean Jaurès". On vient de tuer Jean Jaurès une deuxième fois.
Changer le nom d'un lieu pour un autre nom est encore une fois une pratique courante. Ainsi, après l'assasinat du préfet d'Ajaccio Claude Erignac, de nombreuses rues ont été rebaptisées "rue Claude Erignac". A Montreuil, par exemple, il existe une rue Claude Erignac. Elle s'appelait avant rue Saint-Mandé, qui était, d'après quelques infos que j'ai pu trouver, un abbé d'origine bretonne né au VIème siècle. Cet abbé est-il mort une deuxième fois ?
Cela peut sans doute agacer, quand on ne porte pas particulièrement Jean-Paul II dans son coeur, ou lorsqu'on n'adhère pas à ses idées ou à ses actions, qu'il existe une place qui porte son nom ou une statue qui le représente. Il faut toutefois relativiser cet agacement. Je ne suis pas gaulliste, et pourtant je vis très bien avec le fait qu'il existe des rues, des places, des avenues Charles de Gaulle et même des statues du général. Je pourrais dire la même chose pour Napoléon Ier, le général Mangin, etc. Quant aux partisans de l'UMP, boycottent-ils la Bibliothèque François Mitterrand à cause de son nom ?