Commentaire au sujet d'une récente déclaration de Christine BOUTIN sur le mariage gay et la polygamie
La gauche la plus bête du monde vient encore de faire preuve de sa ringardise convenue en s'offusquant d'une déclaration de Christine BOUTIN, la présidente du Parti Chrétien-Démocrate, qui a estimé "vraisemblable que si on accepte le mariage homosexuel, on serait amenés dans les années à venir à accepter la polygamie en France" (référence ici). Dieu sait que je ne suis pas chrétien, Dieu sait aussi que l'homosexualité n'est vraiment pas un sujet qui me dérange... mais crénonvindiou, c'est pourtant évident que si on autorise le mariage gay, à plus forte raison, on va droit vers la légalisation de la polygamie. Et alors ?
Mais déjà : pourquoi donc ? En premier lieu, parce qu'on ne voit pas pourquoi, si on se permet d'amender le mariage actuel sur la question du genre, on ne pourrait pas l'amender également sur la question du nombre ; et si on peut l'amender sur la question du nombre, on ne voit pas pourquoi, un jour, on ne finirait pas par l'amender effectivement sur la question du nombre. Pourquoi cela poserait-il davantage de problèmes dans le cas du nombre que dans le cas du genre ? En vérité, cela en pose même bien moins, et cela constitue mon deuxième argument.
En effet, si on regarde l'histoire, le mariage polygame a déjà été adopté par bien des civilisations par le passé. On pense bien sûr à l'Islam, mais il ne faut pas oublier que la polygamie a été pratiquée aussi par le Judaïsme, l'Hindouisme, et même le Christianisme (dont, bien sûr, le Mormonisme, mais pas seulement). Aucune, jusqu'à tout récemment, n'a adopté le mariage gay. Sur un plan culturel, géographiquement et historiquement élargi, le mariage polygame est donc une réalité bien plus fortement admise que le mariage gay.
Bon, il est vrai que j'ai tendance à me brosser du "culturel" lorsqu'il entre en contradiction avec la raison, la nature et la liberté. Mais justement, de ce dernier point de vue, le mariage polygame s'en sort bien mieux que le mariage gay également. En effet, le mariage polygame est biologiquement fécond. On peut débattre pour savoir si l'intérêt supérieur de l'enfant est aussi bien assumé dans le cadre de la polygamie que dans le cadre de la monogamie, il n'en demeure pas moins que les polygames n'ont pas besoin d'adopter ou de pratiquer la fécondation in vitro pour avoir des enfants à eux, et que les référents paternels et maternels sont présents. Or, si on part du principe - il est vrai ancestral - qui dit que le mariage existe pour le bien des enfants à naître de l'union des mariés, il s'ensuit logiquement que le mariage gay est un paradoxe, puisque, par définition, il n'y a pas d'enfant à naître possible de l'union des mariés s'ils sont de même sexe.
Alors, certes, on dira que le mariage, aujourd'hui, exprime simplement l'amour. Mais alors, mais alors... pourquoi pas le mariage polygame, si chaque homme aime toutes ses femmes, si chaque femme aime tous ses maris et si tous les protagonistes impliqués sont au courant de la situation et pleinement consentants ? (Si ça ne vous plaît pas, personne ne vous oblige à être polygame, mais respectez au moins le choix de ceux qui voient l'amour autrement...). Et que vient faire l'Etat là-dedans, l'amour n'est-il pas une affaire privée (même s'il n'est pas nécessairement une affaire confidentielle) ? Le problème est que la gauche bien-pensante semble bien assimiler la polygamie et le triplet polygynie, violences faites aux femmes et Islam. Or, où Christine BOUTIN aurait-elle dit qu'elle ne pensait qu'à ce type et même principalement à ce type de polygamie ? La polygamie, qui n'est d'ailleurs pas tout à fait l'opposé de la monogamie (l'opposé des différentes "gamies", n'est-ce pas l'agamie ? l'absence de tout mariage ?), cette dernière pouvant être conçue comme un cas limite de polygamie où le nombre n de personnes avec lequel une personne peut se marier est tel que n=1, renvoie simplement à l'idée de mariages multiples. A aime B et ils décident de se marier. Puis, A aime aussi C et ils décident de se marier, puis C aime aussi D et ils décident de se marier, puis B aime aussi D et ils décident de se marier, etc. Cela peut donc être tout à fait égalitaire (les hommes et les femmes jouissant alors de la même liberté de contracter plusieurs unions) et fondé sur le libre-choix de chacun, sans violence. Et enfin, cela peut être totalement indépendant de l'Islam et même de toute religion. Je renvoie tout le monde à l'excellent petit livre de Catherine TERNAUX sur le sujet : La polygamie, pourquoi pas ?
Certaines personnes concèderont que j'ai raison de penser que la polygamie ne se réduit pas à la polygynie, aux violences faites aux femmes et à l'Islam, mais objecteront que j'ai tort d'imaginer que la polygamie pourrait être égalitaire. La polygamie, prétendra-t-on, c'est ou bien la polygynie, ou bien la polyandrie. Il est vrai que Wikipedia semble aller dans ce sens, réservant le terme de "mariage de groupe" à ce que j'appelle "polygamie". Mais Wikipedia n'est certainement pas le summum de la crème du nec plus ultra en matière de sérieux. En l'occurrence, le "mariage de groupe" est un cas particulier de la polygamie telle que je la conçois : tous les hommes d'un groupe y sont mariés à toutes les femmes d'un autre groupe et réciproquement. Et si l'on consulte, à l'article "polygamie", le dictionnaire en ligne de l'Académie Française, qui est quand même une référence autrement plus sérieuse que Wikipédia, voici ce qu'on y lit :
(1)POLYGAMIE n. f. XVIe siècle. Emprunté, par l'intermédiaire du latin chrétien polygamia, du grec polugamia, « le fait de se remarier plusieurs fois », lui-même composé à partir de polus, « abondant, nombreux », et gameîn, « épouser ».
État d'un homme ou d'une femme qui a plusieurs conjoints, par opposition à Monogamie ou, couramment, à Bigamie ; mode d'organisation sociale reconnaissant la légitimité d'unions multiples, généralement d'un homme avec plusieurs femmes.
Dans cette définition, rien n'indique que les conjoints de l'homme ou de la femme en question ne puissent pas avoir également d'autres conjoints.
Je pense donc - et j'espère l'avoir montré - que le propos de Christine BOUTIN est loin d'être insensé ou simplement provocateur. Oui, le mariage gay ouvre la voie au mariage polygame, et je dirais même qu'il le présuppose ! Quitte à légaliser d'autres formes d'union que le mariage monogame hétérosexuel, la bonne logique aurait voulu qu'on légalise le second avant de légaliser le premier, car, d'une part, le mariage polygame a une plus longue histoire à de nombreux endroits du globe là où le mariage gay est une revendication de quelques dizaines d'années intéressant principalement l'Europe, l'Australie et l'Amérique du Nord, et d'autre part, le mariage polygame présente l'avantage d'être biologiquement fécond là où le mariage gay est biologiquement stérile.
Donc, répétons-le, le mariage gay ouvre la voie au mariage polygame. Et alors ? What is the matter ?
En fait, il y a bien un petit problème, je le concède : il tient à mes convictions libérales. Dans mon monde idéal, le mariage n'existe tout simplement plus comme institution civile régie par la coercition étatique. Il est entièrement privatisé et libéralisé. Il s'ensuit donc que dans mon monde idéal existe toute une panoplie de contrats possibles de droit privé, qui permettent de régir la vie entre X personnes de tous les sexes, du moment que chacun y a apporté son consentement. En attendant, plutôt que de rajouter des types de mariage, il vaut mieux apporter de la souplesse au mariage existant. D'une certaine façon, c'est un peu l'esprit de la loi que le PS entend faire passer en 2013. Le problème étant que c'est une fausse souplesse : elle consiste à augmenter le nombre de couples susceptibles d'être bénéficiaires d'un droit-créance, plutôt que d'ouvrir de vrais droits-liberté. C'est donc une "libéralisation" mal fagotée. Une vraie libéralisation du mariage actuel pourrait consister - par exemple - à autoriser (je ne dis pas : imposer) la possibilité de l'adultère consenti, tandis que le mariage actuel interdit l'adultère, même pour les couples libres ! (même si en pratique, on n'a jamais vu une personne "amour-libriste" tenter d'obtenir un divorce pour faute de son conjoint pour adultère... et même si on peut faire confiance sur le bon sens des magistrats pour ne pas prendre au sérieux une telle demande...).
Mais à part ça, il n'y a absolument aucun problème de droit dans le mariage polygame, et les partisans du mariage gay qui s'en offusquent sont incohérents et se tirent une balle dans le pied...